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Trois petits tours et puis...

L'église est pleine à craquer pour la sépulture ,certains n'ont même pas pu entrer et se
serrent sur le pas de la porte.

C'était il y a un mois !...

Daniel sort de chez le docteur Audret, abattu, comme quand les mauvaises nouvelles vous
tombent d'un coup sur la tête. C'est vrai qu'il ne se sentait pas en forme, avait fait tout un tas d'examens, et venait pour avoir les commentaires et explications de son médecin.Mais il était loin de s'inquiéter vraiment car il est très rarement malade, et que très sportif , il prend soin de lui et se garde plutôt en bonne forme.

Le Docteur Audret avait été sans appel : »c'est une infection grave qui peut être fatale »...

Daniel, assis sur le bord du trottoir se répète le « peut être fatale ».
Que fait-on dans ce cas là, combien de temps peut-il lui rester, le médecin ne s'est pas prononcé, peut-êtrepour ne pas trop l'inquiéter!Ou alors c'est tellement grave qu'il n'a rien osé lui dire de plus!... »peut être fatale... » !

Il se relève, un peu groggy, comme saoul,la respiration saccadée, les passants qu'il croise
semblent le regarder du coin de l’œil, à croire que ça se voit déjà ! il rentre à pas lent vers
son appartement pousse la porte d'entrée,et monte ses deux étages. Il compte machinalement les marches, comme il le fait dans tous les escaliers depuis qu'il est petit, et même si chez lui il l'a fait des centaines de fois.Un réflexe idiot qui lui rappelle l'enfance. Trente six, trente sept, trente huit! il met la clé dans la serrure, tourne deux fois, entre, et va directement dans son salon se servir un whisky !

Au point où il en est !

La solitude ne lui a jamais autant pesée, lui le célibataire plein de vie, l'ami fidèle, le
confident,le bienvenu dans les soirées,le semeur de bonne humeur, et bien là il se sent seul et perdu !

Il boit une gorgée qui lui chauffe d'un coup la langue avant de couler lentement vers
l'estomac, et brûle un peu le« peut être fatale »qui lui cogne encore la tête.
Il sort l'ordonnance de son sac, une liste sans fin pour gagner quelques semaines,
quelques mois ?il ne sait pas !

Une seule envie,se coucher, dormir, du moins essayer,et reprendre ça demain plus à
froid !

Dès le lever l'optimisme est revenu, il est écrit comme ça Daniel,et ça le rassure de voir
que sa tête reprend sa place une nouvelle fois.Le temps qui lui reste prend toute son
importance d'autant qu'il ne sait pas combien.Le temps devient précieux et essentiel.

Il se lève comme si de rien n'était avec un seul objectif, ne pas se plaindre et profiter de ce
qui lui reste à vivre.Il faut qu'il trouve quelque-chose d'important à faire, qui sorte de
l'ordinaire, qui lui permette de laisser ou de garder une trace de son passage.
Il jette un œil aux infos, quelle importance maintenant qu'il fasse beau, qu'il pleuve, qu'il y
ait la guerre, il ne gardera pas ces images là. Le journaliste parle du dernier vol d'un
Boeing qui va emmener quelques centaines de voyageurs ,et leur faire faire un tour de
France vue du ciel pour dire au revoir !
Il sourit !

Voilà ce qu'il va faire, un tour des endroits qui l'ont marqué, pour dire au revoir lui aussi en
retournant sur ses pas de vie et ainsi refaire quelques dernières escales sur son chemin.

Prévenir son entreprise qu'il va prendre quelques vendredis de RTT, pour pouvoir retourner sur ses lieux de prédilections, mais ne rien changer à sa vie de tous les jours.
Il se prépare un sac , deux chemises, un jean et une trousse de toilette, et se souvient de
ce que disait son père : »moins on se donne d'importance, plus on voyage léger ».
Un petit coup de fil au bureau pour signaler qu'un problème familial le retient et qu'il
prendra quelques vendredis pour ne pas trop perturber l'activité et l'organisation du
travail.

Et puis sortir de Paris et filer vers l'est, direction la Champagne, les terres de sa famille, la
maison des grands parents paternels où il a passé toute son enfance, les vacances avec
les cousins, les journées de jardinage dans la grande propriété, à couper et ramasser le bois,les chasses au dahu organisées par les grands, les nuits à jouer au tarot, et la
découverte de la maison avec ses têtes de bêtes aux murs, ses grands salon et bureau,
et toutes ses chambres inoccupées qui donnaient l'impression de cacher un secret !

Deux heures et demies de route et voilà le village,le pont sur la Seine maintes fois
traversé pour aller chez les commerçants, à l'église,et prendre le car.
Et puis la maison, à la sortie, dans son écrin de verdure,une maison intacte et fidèle à ses
souvenirs !
Le portail est fermé avec un cadenas, la maison est close mais semble en bon état, les
propriétaires sont absents. A l'entrée un petit écriteau « chambres d'hôtes ».

Sa mémoire le guide dans les différentes pièces et il traverse la maison du rez de
chaussée au deuxième étage.
Le verger en face où il a ramassé les pommes, est devenu le jardin d'une maison
construite depuis sur le terrain.
La nuit est proche et après un passage au cimetière sur la tombe des grands parents il
sera temps de chercher une chambre dans un hôtel du coin, histoire de garder encore un
peu l'air de l'enfance qui règne ici. Il repartira demain tranquillement pour terminer son
week-end à Paris et préparer la prochaine escale !

Le vendredi suivant quand le réveil sonne, Daniel est étrangement animé d'une nouvelle
énergie qu'il ne connaît pas. Il n'a pas encore commencé le traitement donné par le
Docteur Audret, de peur d'être un peu assommé et ne pas profiter de ses échappées.Il
est excité comme les matins de Noël quand il attendait que son père donne l'autorisation
d'entrer dans son bureau pour voir si la cheminée avait reçu une visite !

Il se lève, prend une douche rapide, se fait un solide petit déjeuner et sac en bandoulière, descend à sa voiture. Destination sa ville de naissance.
La sortie de Paris se fait sans encombres, deux heures de route et il sera dans sa ville
natale de bord de Cher,sa nouvelle escale, dans laquelle il n'est pas retourné depuis de
bien longues années . Il n'y connaît plus personne maintenant. La route est agréable, ensoleillée,et les sonates de Mozart donnent au voyage une sérénité sans égal !

Passé le pont sur le Cher ,c'est l'entrée de la ville qui aujourd'hui accueille le marché du
vendredi qui attire toute la région.

La première idée est de retourner voir la maison de ses parents.
Surprise!elle n'existe plus !une petite résidence a pris la place et un porche ouvert laisse
voir ce qu'il reste du jardin, qui a été goudronné pour servir de parking.L'urbanisation a
pris le pas !

La rue n'a pas changé elle. Daniel refait son chemin vers l'école qui était au bout de la rue et où il est resté jusqu'à la sixième avant de partir pensionnaire.
Les commerces ont fermé et sont devenus des maisons à part entière.
Un passage vers les bords du Cher pour retrouver l'endroit où il allait à la pêche avec son
oncle qui lui fabriquait une canne avec un fil et une épingle à nourrice pour hameçon!Il lui
a fallu des années pour comprendre pourquoi il ne prenait rien !

Daniel s’assoit sur un banc public sur la promenade au bord de l'eau et se replonge dans
ces années , les dimanches passés à regarder la télé , la voisine qui venait le garder
quand les parents sortaient ,le car du lundi matin vers la pension. Tout est là !
Il se dirige vers la brasserie au bord de l'eau, commande une viande et une bière. Il fait
beau, les passants prennent le temps,les bureaux se vident peu à peu et la
brasserie se remplit de voix fortes, et de rires.C'est bien !
Le retour vers Paris se fait comme l'aller, au même rythme, le soleil est un peu tombé mais
Mozart le fait entrer à son tour dans la voiture.

Les jours passent, et Daniel se sent bien, la fatigue est moins présente et sans
médicaments.
Son chemin de mémoire lui fait du bien.Il se rend compte du recul qu'il a pris au travail,
non pas qu'il est moins impliqué loin de là, mais il se prend beaucoup moins la tête et tout
s'en ressent à commencer par lui qui passe des journées plus sereines avec chaque
semaine en tête son projet de destination prochaine.

Arrive le vendredi et cette fois ce sera un grand tour vers la mer.

Quatre heures de route pour rejoindre l'Atlantique et les endroits qu'il a aimé et qui sont
ancrés dans sa tête. La Vendée où il a passé en grande partie ses vacances d'été à la
pêche à la balance, au Club de la plage, avec les copains, à pédaler sur les petits
chevaux.La saison n'est pas commencée mais le soleil fait sortir de nombreuses familles
sur la promenade, les enfants en vélo, les parents en patinettes,il y a comme un air de
bonheur.

La mer est calme, la plage est encore vide de toute activité,les poteaux du club attendent
les balançoires et autres agrès,sur le grand pont de bois qui avance sur la mer ,l'estacade, quelques pêcheurs s'essayent à ramener un poisson pour ce soir.Comme lui autrefois,si fier de ramener des Tacots, plein d'arêtes!.

Que de souvenirs !

Retour à la voiture pour filer et remonter vers la Bretagne, l'autre Finistère comme le dit la
chanson.

Daniel a prévu de dormir au petit hôtel sur le port de la presqu'île qu'il a tant sillonnée avec
son vélo, les mois d'août où il venait là dans la maison d'une de ses tantes qui lui laissait
la clé et l'autorisait à venir avec ses amis.
Que de moments passés sur la plage avec les guitares, le soir, à reprendre toutes les chansons du patrimoine, les balades en vélo aux alentours, les soirées sur le port ,le bal des marins..
Il est tard quand il arrive à l'hôtel mais le restaurant est encore ouvert et il se commande
une assiette de fruits de mer,et un verre de Muscadet pour marquer cette nouvelle étape
de vie. Le patron est sympa,et à la table voisine, les clients traînent un peu et se prennent
quelques verres de vodka pour clore la soirée. Daniel sort un instant sur le port avant
d'aller se coucher et écoute le clapot de l'eau sur le mur de la jetée.

Le matin il est réveillé par un bateau qui part à la pêche. Il est tôt mais l'hôtel s'emplit déjà
d'une bonne odeur de café.

Avant de rentrer sur Paris, l'idée est de sillonner la région et partir par le chemin des écoliers.La mer c'est presque le meilleur des médicaments. Elle a le don d'apaiser, de
vous vider la tête, de vous faire oublier les difficultés, ou de les aborder ensuite avec plus de recul.
Daniel n'est pas venu là pour rien, il sait cela !
Quand il prend le chemin du retour il se dit que maintenant tout peut arriver ...!

L'église est pleine à craquer, les fleurs couvrent le devant de l'hôtel et le tour du cercueil
sur lequel une photo vient rappeler celui pour qui tout ce monde se presse. A croire que
l'on ne peut reconnaître ses amis et ceux qui vous apprécient que le jour où vous n'êtes
plus là.

Le Docteur Audret a été emporté par une infection fulgurante !
Quelques jours plus tôt, Daniel avait une lettre dans sa boîte, à en-tête du Docteur. Il avait
un peu paniqué en l'ouvrant :

« Cher Monsieur,

Désolé de vous importuner, le Docteur est absent et m'a demandé de vous adresser ce
courrier.
Quand le docteur Audret a commenté vos analyses, ce sont les siennes qu'il avait
malencontreusement rangées dans votre dossier. Soyez rassurés, les vôtres sont tout à
fait normales, juste un peu de Cholestérol qu'il faudra surveiller.

Avec toutes ses excuses

MME Jacquemin

Assistante du Docteur Audret

Daniel déchire la lettre et pense à tout ce parcours qu'il vient de s'offrir, ce retour à ses
moments de vie.
Il est heureux d'avoir trouvé du sens à son chemin, et va maintenant écrire celui qui va guider le reste de sa vie .

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