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En ce 13 janvier 2006, la neige tombe à gros flocons, et fait comme un grand mur opaque vu de la fenêtre.

Marie est seule à la maison, son mari est de nouveau en déplacement pour son travail et les enfants ne sont pas encore rentrés du collège. Dans la cheminée du salon, crépite un feu de bois humide et encore un peu vert, qui claque par moment et la fait sursauter.

Il n'a pas cessé de pleuvoir ces 15 derniers jours et le froid s'est abattu très soudainement en début de semaine transformant les gouttes de pluie en flocons .

Marie n'aime pas trop rester seule dans cette grande maison, achetée il y a quelques mois quand son mari avait été muté en Bourgogne. Ils avaient eu le coup de foudre pour cette petite ville et les prix de l'immobilier, quittant Paris, leur avaient donné l'occasion d'acheter la maison spacieuse dont ils rêvaient .Et puis elle lui rappelait tellement son enfance et la grande demeure de ses grands parents avec tous ses coins secrets et ses cachettes à n'en plus finir.

Elle se réfugie volontiers dans le salon dont le parquet anglais fleure bon l'encaustique, et où les épais fauteuils de cuir, appellent à rester devant le feu à lire, écouter de la musique , rêvasser et attendre que les enfants rentrent.

Julien 14 ans , est un enfant vif, intelligent, élève appliqué, et passe ses moments libres à lire des revues de sciences quand il n'est pas le nez collé sur son ipad. Fleur, 12 ans, est beaucoup plus turbulente. Elle ne supporte pas son prénom depuis que ses camarades de classe l'ont surnommé « pâquerette » .

Il est16h30 à la pendule et déjà, le jour s'évapore dans un manteau de brume et de neige.
Le silence, amplifie les claquements du bois et le tic tac qui bat le rythme au dessus de la cheminée.

Alors qu'elle s'apprête à prendre un livre dans la bibliothèque, Marie sursaute au léger claquement répété venant semble t-il d'une autre pièce . Elle s'arrête un instant pour écouter, et le cliquetis, tel un métronome , résonne comme provoqué par le vent qui vient de se lever. C'est la première fois qu'elle entend ce bruit dont les vieilles maisons regorgent tant.
Qu'est-ce ?
cela ressemble au claquement répété d'un volet mal fixé, d'une fenêtre mal fermée. Et son mari qui n'est pas là pour aller voir !

Elle se décide à partir à la recherche du coupable de sa peur. Elle commence par la salle à manger, tout à côté du salon, puis la cuisine, mais le bruit disparaît dans ces pièces, ce qui l'incite à monter au 1er étage du côté des chambres , à commencer par celles des enfants . Elles sont toutes les deux totalement silencieuses à l'exception du vent qui ne s'est pas calmé et qui frôle les carreaux. Dans sa chambre tout est normal également mais le bruit est à nouveau audible comme venant juste d'au dessus... du grenier !

Marie n'y est monté qu'une seule fois lors de la visite avec l'agent immobilier avec qui ils ont acheté. Il fait toute la surface de la maison, et les déménageurs y ont déposé les quelques cartons accumulés lors de déménagements précédents, qu'ils n'ont plus jamais ouverts, mais gardent précieusement, on ne sait jamais!chaque année ils se promettent de faire un tri mais trouvent toujours la bonne raison de ne pas le faire.

La seule chose dont elle se souvient c'est que le grenier est sommairement aménagé et a du être habité par des domestiques ou des enfants,raison pour laquelle il est entre autre pourvu d'un poêle et isolé pour pouvoir y vivre en toutes saisons. Il semble tout à fait sain et un plafond l' isole même de la toiture.

Marie décide de monter voir et pour cela retourne au rez de chaussée pour s'armer d'une lampe de poche et d'un tisonnier.

Quand elle ouvre la porte , une vague de fraîcheur lui caresse le visage et elle entend aussitôt de façon marquée le cliquetis qui répond au vent. Elle se dirige vers le bruit tout à côté du poêle. Là elle découvre une petite grille en fer, creusée dans le mur et reliée au conduit , et qui devait servir à diffuser la chaleur . Mal fermée, elle tape à un rythme régulier à cause du vent qui s'engouffre dans l'évacuation, raison pour laquelle il est amplifié et peut s'entendre depuis le bas de la maison.

Marie cherche un morceau de papier pour bloquer l'ouverture et déchire pour cela un carton de déménagement. C'est en s'approchant de la petite grille avec sa lampe qu'elle l'aperçoit...
Il y a comme un rouleau de papier caché derrière. Elle débloque l'ouverture et glisse sa main pour saisir sa trouvaille, vérifie s'il n'y avait rien d'autre et bloque la petite porte.

Elle redescend au salon, après avoir vérifié que le bruit s'est bien tu , fière d'avoir passé cette épreuve et de ce qu'elle a découvert.
Elle s'installe près du feu, et déroule son trésor. Il s'agit d'un texte court, un peu passé, d'une vingtaine de lignes,une lettre écrite avec de la suie humide ou une mauvaise encre.

Elle est datée du 12 juin 1943.

« Ma très chère Violette, mon amour,

Cela fait maintenant 61 jours que la famille Guillot me cache dans ce grenier. Ils sont très dévoués .
Je sais qu'à un moment ou à un autre ils seront dénoncés et les allemands viendront me chercher et probablement les arrêter. J'ai donc décidé de partir .
Je t'écris cette lettre que je vais cacher et je vais demander à un des enfants, celui qui me monte chaque jour mes repas,et qui va à Paris de temps en temps, de venir te la remettre.
Je lui ai raconté nos rendez-vous tous les samedis après-midi au café de Flore, boulevard St Germain, et « notre » table que le serveur nous réserve fidèlement . C'est là qu'il te l'apportera car je sais que tu vas continuer à venir m'y attendre.
Je ne sais pas si nous aurons le bonheur de nous retrouver, mais sache que je t'aime profondément ma Violette et que chaque minute passée dans ma cachette, j'ai pensé à toi.
C'était hier ton anniversaire,je t'ai imaginé soufflant tes 20 bougies.
Je t'embrasse tendrement
A très vite j'espère »
Simon

Marie attend devant le guichet de la gare de Joigny , toute excitée à l'idée de ce voyage à Paris qu'elle a décidé de faire après avoir raconté sa trouvaille à son mari et ses enfants. Elle veut aller voir...

Quelle histoire, quelle belle histoire !
Son billet en poche elle se dirige vers le quai, il est tout juste midi , elle sera vers 15h30 boulevard st Germain . Elle sort son plan de métro pour repérer les lignes et les stations en arrivant à la gare de Lyon. Direction st Lazare, changement à Châtelet en direction de porte d'Orléans.
Le train est à l'heure ; Marie prend place dans un des wagons et sort un journal, sachant très bien qu'elle ne lira pas. Ses pensées sont ailleurs.
Jusqu'à Paris gare de Lyon le voyage n'en finit pas et la hâte d'arriver donne de la lenteur au temps qui passe.

Il est 15h10 quand elle arrive devant le café de Flore, le cœur battant. La terrasse couverte est déserte à cette période de l'année, malgré les chauffages qui rougeoient
au dessus des tables.
Marie entre et jette un regard vers les quelques clients installés qui eux ne font pas attention à sa présence.
Certains prennent le thé, d'autres lisent et même écrivent comme pour garder la mémoire de tous les écrivains qui sont passés dans ce lieu.
Le café de Flore reste un rendez-vous des artistes reconnus ou en herbe.

Deux dames octogénaires sont assises sur la droite, l'une en chemisier blanc et gilet gris, et un très gros collier de perles habillant le haut de sa poitrine, l'autre plus originale avec son chapeau cloche sur la tête, et une petite fleur à la boutonnière de sa veste de laine noire. L'une lit un livre ancien, et l'autre le petit doigt levé vers le ciel, déguste une pâtisserie un léger sourire de contentement sur les lèvres.

Marie s'assoit à une table et, à peine installée, un serveur se précipite vers elle pour prendre sa commande . Elle ne quitte pas des yeux les deux mamies. Le garçon lui apporte déjà un grand café noir dans lequel elle fait glisser deux sucres, et tourne sa cuillère d'un air distrait. Après quelques minutes d'hésitation elle se lève et se décide à aborder les deux dames.
« Bonjour, excusez moi de vous importuner » dit elle à la première, qui lève les yeux de son livre pour la fixer de son regard bleu transparent , »je cherche une femme qui s'appelle Violette »
La dame la regarde et après quelques secondes de silence lui répond « désolée, je ne suis pas celle que vous cherchez » et se replonge dans son livre mais l'oreille tendue vers la réponse de la deuxième dame qui la regarde en souriant et lui dit « je ne m'appelle pas non plus Violette mais Germaine, mais il y a bien longtemps on m'avait surnommée Violette à cause d'une petite broche que je ne quittait pas, et qui représentait un petit bouquet de cette fleur . Elle m'avait été offerte par mon père et j'y tenait .J'ai du la vendre pendant la guerre pour acheter à manger.

« Je viens de la part de Simon » dit Marie !
Germaine pâlit
» asseyez-vous »dit elle, « qui est ce Simon » demande t-elle ?
Marie explique où elle habite et raconte toute l'histoire de la découverte dans ses moindres détails jusqu'à la lettre trouvée dans le grenier.
Germaine sort un petit mouchoir brodé de son sac pour essuyer une puis plusieurs larmes qui coulent sur sa joue.
Elle sourit, renifle, s'excuse, les quelques clients se sont tournés vers elle et la dame en gris à côté d'elle ne perd pas une miette de la conversation.
Marie a les yeux emplis de larmes.
Germaine raconte alors sa forte et courte histoire d'amour avec Simon, leurs rendez-vous au Flore chaque samedi en cachette des parents et puis la guerre, la fuite de Simon quand les allemands ont commencé les rafles, les quelques nouvelles qu'il avait réussit à lui donner, et puis le silence, ce long silence, et son espoir de le voir revenir un jour et tous les samedis pendant toutes ces années où elle est venue l'attendre, Elle raconte ses joies quand elle croit le reconnaître, et ses larmes quand elle rentre dans son petit appartement voisin.
Elle savait qu'elle ne le reverrait pas mais au fond c'est bien l'espoir qui la faisait vivre , et là, c'est comme si elle le retrouvait!
c'est un signe de lui !
« Ma vie peut maintenant s'arrêter et je peux partir en paix »
Germaine tourne et retourne le rouleau de papier que Marie lui a donné, sans oser le lire, elle le réserve pour plus tard, quand elle sera chez elle.
Sans savoir si ses jambes vont pouvoir l'emmener jusque chez elle, tellement elle tremble, elle se lève, lance un grand sourire à Marie, enfile son manteau avec des gestes maladroits et réajuste son chapeau cloche.
« Merci, merci, mille fois merci », dit elle avant de s'avancer vers la porte. Tous les regards sont tournés vers cette vieille femme , le visage à la fois radieux et couvert de larme.
Elle pousse la porte, se retourne une dernière fois vers Marie, cligne des yeux pour lui dire une nouvelle fois merci, et sort.
Marie la regarde s'éloigner à petits pas, traverser le boulevard droite , fière et surtout heureuse .

Il est 17h15 en ce 21 janvier 2006, l'heure d'un rendez-vous inoubliable avec le bonheur !

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