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LUCIEN

 

Six heures, comme chaque matin depuis un an, Lucien entre dans la boulangerie !

Il ne vient pas en tant que client, mais c’est un peu sa maison.

Il est accueilli par le sourire d’Elise, sa petite Elise comme il dit, qui a l’âge de sa fille. Les pains croustillants sont déjà rangés sur le présentoir, les viennoiseries invitent l’odorat et le regard, et le tout enveloppé du sourire de la jeune employée , de bonne humeur malgré l’heure matinale.

Comme chaque matin, René, le boulanger, est encore au fournil à nettoyer son antre comme il dit avant d’aller se reposer. 37 ans qu’il descend chaque nuit, préparer sa pâte, ses croissants et pains au chocolat, ses pains aux raisins de renommée locale et son pain qui s’arrache en quelques heures. Il le sait René, à midi il n’y aura plus rien, alors il prépare à l’avance une fournée à faire après sa sieste avant de conclure sa journée de bonne heure par un verre au bistrot d’en face le « On est bien » ! le temps de prendre des nouvelles du quartier, de quelques rires avec les piliers du comptoir et Pierre le patron, la soirée arrive vite et René se couche tôt, à l’heure de la météo, après un dîner léger pour se garder en forme.

René c’est un peu le papa qu’Elise n’a pas eu, c’est comme ça qu’elle parle de lui, et Jeanne, la boulangère, derrière la patronne pas toujours facile, se cache une femme généreuse et bienveillante, une seconde maman, qui râle quand ça ne va pas assez vite, mais qui reste la meilleure patronne qui soit . Elle le sait bien Elise du haut de ses 24 ans, et elle n’a aucune envie de faire autre chose ailleurs. Elle connaît tous les clients, leurs exigences, jusqu’aux préférences de chacun pour le pain plus ou moins cuit.

Quand Lucien entre dans la boulangerie il n’y a encore personne, il est 6 heures et comme chaque matin Elise lui offre une baguette, et il attend René qui va l’emmener au « On est bien » pour lui offrir un café.

 

Au bar d’en face, Pierre propose sur un petit panneau, à qui veut ,de payer un deuxième café 1 euro au lieu du 1,50 habituel, et il sera offert à un SDF de passage ou à une personne avec peu de moyens .

Il fait ça depuis toujours Pierre, il y ajoute même souvent une tartine beurrée !

Quand sa femme est décédée, Lucien s’est retrouvé seul avec sa fille, il a tout fait et donné Lucien pour bien l’élever, lui payer ses études d’école de commerce , jusqu’au jour où l’entreprise dans laquelle il travaillait, la crise passant par-là, a perdu un très gros contrat et mis la clé sous la porte . Il s’est retrouvé au chômage et du fait de son âge n’a pas retrouvé de travail stable. Les allocations ont fondu et est arrivé le moment où il ne pouvait plus faire face au loyer . Sa fille a financé sa dernière année d’études en faisant des petits boulots, et s’est envolée vers les Etats Unis, recrutée très vite par un grand groupe international. Elle y a rencontré, l’amour de sa vie, qui très vite lui a fait un enfant. Lucien reçoit régulièrement nouvelles et photos du petit Sam, son petit fils !

Lucien quant à lui s’est retrouvé à la rue.

C’est à ce moment là, en allant prendre un café offert au « On est bien » qu’il a rencontré René, qui l’a pris sous son aile, et lui a offert une chambre dans sa maison en échange de menus travaux de jardin et de bricolage.

Il lui tarde de pouvoir s’envoler vers les US, retrouver sa fille chérie et jouer au grand-père qu’il est, pour de vrai..

Pierre, René, Elise , lui ont fait de la publicité, Pierre ne cesse de recommander son savoir-faire. Alors Lucien est très demandé et petit à petit il gagne l’argent nécessaire pour son voyage, et confie ses économies à René pour les déposer à sa banque. Il n’a plus de compte Lucien.

Sa fille lui envoie aussi un peu d’argent et d’ici quelques semaines maintenant il devrait pouvoir s’offrir le billet de ses rêves. Il y pense tous les jours Lucien et il se sent heureux de se savoir si bien entouré et de s’en sortir, même chichement, mais en bonne santé et en ayant l’essentiel, de quoi manger, de l’amitié, les pensées de sa fille, et un rêve à réaliser.

 

Ce matin, René remonte un peu plus tard que d’habitude. Voilà que depuis quelques jours, Elise et Jeanne le sentent préoccupé. Il fatigue, travaille plus lentement. Il n’a jamais eu d’apprenti René et à toujours voulu travailler seul ne sachant pas s’il saurait former quelqu’un.

Il pense à son père avec qui déjà dès ses 14 ans, il descendait de temps en temps au fournil le regarder faire, et qui lui confiait la pâte à pétrir, surveiller la cuisson… Il aimait bien ça René et se sentait devenir grand et fier de ces responsabilités.

La malchance a voulu que Jeanne ne puisse pas avoir d’enfant, c’est pour cela qu’il compense avec Elise qu’il considère comme sa fille, et qui lui rend bien en parlant de lui comme son papa gâteaux.

Quand René apparaît à la porte, les cheveux et le tablier encore enfarinés, son sourire cache la fatigue et ses quelques rides marquant la fatigue. Les premiers clients sont là, des jeunes qui sortent de boîte de nuit et qui viennent se chercher quelques viennoiseries et draguer un peu la jolie Elise.

René fait un signe à Lucien pour lui dire qu’il arrive d’ici 2 mn le temps de se passer un peu d’eau et enlever la farine qui l’habille de blanc.

Puis ils sortent de la boulangerie tous les deux, traversent la rue, très calme encore à cette heure, salue le voisin en train d’installer son étal de fruits et légumes, et ils entrent au « On est bien » où Pierre les accueille d’un » salut les artistes» !

Pour la première fois, René ne s’installe pas au bar comme d’habitude, mais à une table au fond du bar, à l’écart, et invite Lucien à venir s’asseoir en face de lui.

« Qu’est-ce qui se passe » ? demande Lucien en s’installant.

« Voilà Lucien, cela fait près d’un an que chaque matin on prend le café ensemble, que je te prête une petite chambre, et que tu fais de menus travaux pour moi et pour le quartier.

 

Alors voilà , je suis fatigué, j’ai largement de quoi vivre et je veux te proposer de venir travailler avec moi au fournil. »

« Travailler au fournil » dit Lucien « mais je ne saurai pas faire ! »

« Et bien tu vas apprendre !tu auras un emploi stable, un salaire d’apprenti pour commencer, mais cela te permettra de louer un « chez toi » et de profiter un peu plus de la vie , et surtout d’aller voir ta fille »

 Lucien le fixe surpris et déboussolé.

« Et ce n’est pas tout ! Dans 6 mois, si tu es d’accord, je te céderai la boulangerie ! »

« Mais je n’ai pas les moyens René ,et ce n’est pas en 6 mois que je vais pouvoir mettre autant d’argent de côté ! »

« Je le sais bien Lucien, voilà un an que je t’offre chaque matin un café pour 1 euro. Ce matin, c’est ma boulangerie que je m’engage à te céder pour ce prix là ! »

Lucien pense que René est devenu fou ou que la fatigue lui tape vraiment sur la tête.

« Je mettrai une condition Lucien, c’est que toi aussi tu t’engages à aider quelqu’un, comme je l’ai fait pour toi, et que tu cèdes un jour la boulangerie de la même façon, à celui que tu voudras aider, quand tu arrêteras. »

René ajoute avec malice « tu céderas comme moi la boulangerie…pour une bouchée de pain ! »

Lucien pleure , Pierre s’inquiète, René lui dit qu’il s’agit de larmes de joie, bonjour la joie se dit Pierre.

René se lève, demande le silence, et lance un » je vous présente le futur boulanger d’en face » !

Il y a un silence, puis des applaudissements, de l’émotion dans l’air, quelques larmes. Vraiment un chic type ce René !

René range sa chaise «  rendez-vous demain 4h au fournil Lucien ! Je vais annoncer la nouvelle à Elise et Jeanne.

Demain sera le premier jour de ta nouvelle vie monsieur le futur boulanger ! »

 

 

 

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