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Une voix dans le métro

 

 

Lundi 16h, Stéphane Herriot, Steph pour ses proches, quitte son appartement de la rue du Vieux Colombier dans le 6e arrondissement.

Son étui de guitare dans une main, et dans l’autre un petit caddy contenant son ampli et auquel il attache son pied de micro et son lutrin, c’est comme ça qu’il va chaque jour au travail, dans un couloir de la station St Sulpice, ligne 4, juste à côté de chez lui. Un vrai luxe à Paris que de travailler à deux pas de son domicile !

Il descend les escaliers de son immeuble, sort, et va rejoindre la station de métro. Son bureau comme il dit !

Il entre dans la station et pose son étui à l’endroit même où il s’est arrêté la première fois, et qu’il n’a jamais quitté, un peu par superstition !

Après avoir passé les auditions à la RATP, il a obtenu son badge qui l’autorise à venir chanter dans le métro et gagner sa vie avec ses mini concerts. C’est sa passion et il espère bien un jour que la chance lui sourira et qu’il montera sur une vraie scène.

C’est difficile de jouer dans le métro.

Lui s’est fait un public, et quelques fidèles chaque jour s’arrêtent pour l’écouter, et oublier leur journée de travail.

Les gens habituellement passent sans s’arrêter, sans même vous regarder, et puis petit à petit ils s’habituent à votre présence et finissent par stopper leur course folle un instant, pour un petit moment de décompression. Stéphane s’est ainsi constitué un petit groupe d’habitués.

Il sait bien qu’aux terrasses des cafés et des restaurants, dans les pianos bars, c’est pareil, personne n’écoute vraiment. C’est comme un bruit de fond aux conversations. Ce qui est amusant c’est que les gens applaudissent dès que la musique s’arrête, comme par reflexe !

Stéphane s’installe, pose l’étui devant lui en y mettant quelques pièces pour amorcer la recette espérée. Il déplie son lutrin pour poser ses textes, installe le micro et le branche sur son ampli avec sa guitare.

 

Il accorde l’instrument en prenant son temps, pas question de fausses notes qui lui donnerait un côté amateur. C’est aussi l’occasion pour lui de se concentrer, de respirer, car il a à chaque fois le trac en se livrant ainsi publiquement.

C’est ainsi chaque jour le même rituel, de 16h30 où il commence, jusque vers 19h30. Il couvre ainsi toutes les sorties de bureaux et de lycées. Il fait la même chose les week-ends ce qui lui permet de toucher des gens qui ont plus de temps, sont plus détendus aussi, qui se promènent ou font leurs courses. De plus, la recette est toujours meilleure !

Il aimerait bien que parmi tous ces usagers, un producteur, un agent, un gérant de salle de spectacle, le remarque. Alors il prépare beaucoup ses scènes pour donner et montrer le meilleur de lui-même.

Il démarre le plus souvent sur Brel et son « Port d’Amsterdam », puis au tour de Voulzy et Souchon, Boby Lapointe, un peu de Beatles aussi, un répertoire très divers, essentiellement quand même de chanson française qu’il affectionne particulièrement. Toutes les 3 chansons environ, il glisse une de ses propres compositions.

Stephane a bien remarqué que deux fois par semaine, une jeune femme s’arrête avec une petite fille de 6-7 ans. Une petite blondinette avec des nattes, un visage pâle, très pâle !

Elles restent toujours une bonne dizaine de minutes, sourient, et la petite dépose régulièrement une pièce dans l’étui, tout en le fixant de ses grands yeux bleus.

Un mardi soir, alors qu’il est en train de ranger sa guitare, la jeune femme et la petite s’approchent. Elles semblent désolées que le concert soit terminé et de l’avoir loupé.

« Bonjour, je suis Claire la maman de Louise » dit-elle avec un large sourire en regardant sa fille, une de vos admiratrices ». La petite ne dit rien, mais le fixe d’un regard un peu triste, et paraît comme subjuguée.

« Voilà, Louise est en soins intensifs à l’hôpital, deux fois par semaine pendant deux jours chaque fois, et elle m’a posée la question suivante : est-ce que tu crois que le chanteur du métro viendrait à l’hôpital de temps en temps pour nous chanter ses chansons, avec les autres enfants ? »

Stéphane la regarde, gêné d’apprendre que Louise est probablement gravement malade, mais aussi surpris par la proposition qui lui est faite ? Il n’a jamais imaginé cela !

« Oui » dit-il, « non ce n’est pas possible reprend-il aussitôt, je ne sais pas trop !je vais y réfléchir »

Louise prend la parole et lui lance un «S’il vous plaît Monsieur, venez juste une fois »

 

« Promis, je vais y penser » répond Stéphane perturbé.

La maman et Louise s’en vont après un bonsoir et merci et des regards appuyés.

Stéphane est un peu perdu, cherche ses clés qu’il ne trouve pas, s’aperçoit qu’il les tient dans sa main gauche, et hésite sur le côté de la sortie qu’il connaît pourtant par cœur. Perdu dans ses pensées !

Une fois rentré, après avoir rangé son matériel, il se sert un verre de vin, s’assoit, et son premier geste est de compter la recette de l’après-midi. Puis il allume la télévision, et sans la regarder, pense à la rencontre qu’il vient de faire.

 

 

Mercredi 18h, Stéphane déroule son répertoire. A son timbre déjà légèrement voilé, s’ajoute à sa voix une élégante mélancolie. Lorsqu’il interprète une de ses compositions, il observe que les passants toujours pressés, ralentissent, essayant probablement de reconnaître la chanson et deviner de qui elle est. Ce soir-là un petit groupe de lycéens reprend en chœur «  la maison bleue » de Maxime Leforestier.

Le mercredi, Claire et Louise ne passent pas en principe, c’est le mardi et le vendredi après les deux jours de soins.IL a encore un peu de temps pour leur répondre et ne sait toujours pas quoi faire. IL a en même temps l’envie de faire plaisir à la petite, probablement aussi à sa maman qui ne lui est pas si indifférente, et à la fois la trouille d’aller à la rencontre de ces enfants malades.

IL passe un jeudi perturbé. Cela se ressent dans sa voix, il n’est pas à l’aise, se trompe d’accords, il n’est pas concentré et se trompe même dans les paroles. Ce n’est pas une bonne journée.

 

Vendredi 18h, il les voit arriver ! Après l’avoir écouté un peu plus longuement que d’habitude, la maman s’approche comme pour déposer une pièce. IL la regarde et sans réfléchir dit « je viendrai mardi vers 15h si cela convient » ! Claire sourit, le remercie et lui dit  « c’est parfait, elle est dans le service Hématologie et Oncologie de l’hôpital Necker, l’infirmière à l’accueil vous indiquera la chambre des enfants. Merci, vraiment merci ! ». Louise comprend que c’est gagné, et le fixe de nouveau de ses grands yeux bleus où il lui semble même voir passer une petite lueur supplémentaire.

Stéphane passe son week-end à chercher des chansons pour enfants, ne trouve pas ce qu’il souhaite et pour finir se décide à retenir quelques chansons de son répertoire

 

habituel avec lesquelles il est très à l’aise. Ce sera plus facile pour lui enlever de l’émotion qui sera probablement forte. Il en chantera aussi une ou deux de lui, dont sa dernière !

Le mardi, après une mauvaise nuit et une matinée qui n’en finit pas, il se présente à l’accueil de l’hôpital, un peu en avance. « Pour voir qui ? » demande l’infirmière à l’entrée, sans le regarder. « Je viens voir les enfants dans le service Hématologie et Oncologie ».

L’infirmière lui sourit ! « vous êtes le chanteur ?je crois que vous êtes très attendu ! chambre 22 ».

Quand Stéphane ouvre la porte après avoir timidement frappé, cinq enfants et cinq mamans lèvent le regard pour l’accueillir. Louise a un sourire jusqu’aux oreilles.

Claire fait les présentations des enfants : Louise bien sûr, Adrien qui n’a plus de cheveux, Elise qui a un cathéter dans le bras, Emilie et Kevin qui jouent avec des Lego et une poupée Barbie.

Stéphane sort sa guitare, l’accorde, l’attention des enfants est perceptible et les mamans se sourient d’un air convenu.

La meilleure façon d’effacer le trac est de se lancer et sans plus attendre il ouvre de quelques accords et entame « la maman des poissons » de Boby Lapointe. Les enfants ne comprennent pas tous les jeux de mots mais savourent l’histoire. Puis c’est « Aragon et Castille » et ses glaces vanille et citron, suivie de « Ta Katie t’a quitté » dont le rythme des paroles impressionne le jeune public. Les enfants se regardent et rient.

Puis il joue sa dernière composition, « le sourire de Louise », qui raconte l’histoire d’une rencontre amoureuse, et bien sûr retient toute l’attention de la petite qui regarde sa mère d’un air entendu, puis c’est au tour de « Vivre libre » qui raconte l’histoire d’un réfugié, et « Le temps passe » pour laquelle il demande au public de taper des mains pour marquer le tempo de cette chanson métronome qui égrène les jours.

Des infirmiers passent la tête dans l’embrasure de la porte, voient les airs enjoués, s’attardent un peu pour profiter aussi de cette pause musicale. L’atmosphère est détendue, et c’est un triomphe qui lui est fait quand Stéphane s’arrête, les bis lui rappelant qu’il faut encore en faire une. Il joue alors «  Petite Marie » de Francis Cabrel pour conclure ce premier spectacle.

 

Stéphane va ainsi venir régulièrement, chaque mardi. Il trouve des enfants nouvellement soignés, demande des nouvelles des uns et des autres, parfois bonnes, parfois mauvaises. Il ne s’habitue pas à ces dernières.

 

Un mardi, Claire lui propose d’aller prendre un verre avant qu’il ne rejoigne le métro. « J’ai une nouvelle à vous annoncer » dit-elle en posant sa tasse de café. «  Louise est déclarée en rémission », elle ne viendra plus que tous les 6 mois à l’hôpital pour des examens de contrôle. C’est certainement aussi grâce à vous, j’en suis persuadée !. Nous allons continuer à passer vous voir dans le métro. Je crois que moi aussi je suis devenue fan ! » dit-elle en fixant son regard et en l’éclairant d’un large sourire. « Je ne sais pas comment vous remercier. Je vais vous présenter quelqu’un qui va peut-être, je l’espère, pouvoir vous aider à avancer sur votre chemin musical. C’est une amie qui travaille dans ce milieu, je lui ai parlé de vous et proposé qu’elle puisse vous écouter ou vous faire rencontrer un professionnel. Elle est OK. Elle va organiser un rendez-vous. »

 

2 mois plus tard, Stéphane vient toujours dans le métro trois fois par semaine, le vendredi et le week-end. Il vient à l’hôpital chaque mardi. Le public s’est élargi à d’autres malades, ainsi qu’à des soignants. C’est devenu un rituel, un rendez-vous à ne pas manquer, un peu son Olympia.

Stéphane, Steph’H pour le public, est entré en studio et enregistre son premier album. Le titre phare, « Le sourire de Louise », passe déjà à la radio !

 

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