La pluie bat la plage depuis une bonne heure déjà. Le vent gifle la mer contre les rochers.
Marie est debout en haut de la falaise, complètement trempée jusqu’aux os. Perdue dans ses pensées, elle fixe un horizon imaginaire complètement noyé de brume…
Elle sent tout à coup une présence à ses pieds. Un Jack Russel, qui ignore les appels de son maître, lui renifle déjà les pieds.
-Whisky !
Pierre arrive à son tour, totalement essoufflé d’une course dont il se serait bien passé, et qui l’a fait sortir précipitamment de son hôtel quand il a aperçu cette femme, pensant immédiatement au pire et qu’elle voulait attenter à sa vie. Il n’avait qu’une peur, la voir sauter dans le vide. Il arrive auprès de Marie, une grosse veste à la main, dont il la couvre très vite.
Marie se penche pour caresser Whisky qui bien qu’il ne manque pas d’affection apprécie le geste et se précipite les deux pattes en avant sur sa cuisse, pour lui montrer sa reconnaissance.
- Faut pas rester ici madame, vous allez attraper du mal ( Pierre pense que ce n’est rien à côté de l’idée qu’elle avait peut-être l'idée de sauter), je vous emmène à l’hôtel, suivez-moi !
- Vous êtes de la région ?
- Pas du tout, je suis arrivée tout à l’heure de Paris, je n’ai pas encore d’endroit où aller et j’avais besoin avant tout de ce grand bol d’air
- Pour un bol d’air,un grand bol d’eau plutôt ! venez avec moi à l’hôtel, vous allez vous sécher, vous réchauffer et boire un bon thé chaud.
Marie quitte la mer des yeux et suit Pierre jusqu’à l’hôtel à deux cent mètres de là. « Les Embruns » lit-elle sur une plaque à côté de la porte. C’est quand même le signe qu’une bonne étoile la protège et sourit à l’idée qu’elle vient s’ajouter aux deux indiquées sur la plaque de l’hôtel. Whisky se précipite vers la cheminée après s’être secoué devant l’accueil sous les cris de Lucie, la femme de Pierre, qui est venue inquiète, les attendre sur le pas de la porte. Pierre donne une clé à Marie, afin qu’elle puisse prendre une douche chaude, et se sécher .
-Chambre 25 « les dauphins »,ma femme va vous prêter quelques vêtements le temps que les vôtres sèchent. Vous pouvez rester et passer la nuit ici si vous voulez, le temps de vous retourner et de vous organiser.
- Merci ! dit Marie qui n’en revient pas d’un tel accueil. Elle ouvre la porte et découvre une chambre toute propre, aux murs blancs, avec des reprographies de mer, de dunes, et la photo d’une île. Une petite terrasse avec une table et deux chaises donnent sur un jardin gazonné, au bout duquel on peut apercevoir certainement la plage et la mer à marée basse. Un grand lit couvert d’un dessus blanc lui aussi et deux coussins bleus, donne au lieu l’air de vacances attendu. La salle de bain est toute neuve et joliment carrelée de motifs eux aussi marins. Marie enlève ses vêtements qui lui collent à la peau et se précipite sous la douche. L’eau chaude et l’odeur du gel, lui donnent un coup de fouet au moral qui remonte aussitôt dans son baromètre intérieur. Après s’être séchée, elle enfile le peignoir épais accroché à la porte.. Elle se regarde dans la glace, se trouve très cernée et laisse quelques larmes s’échapper. C’est à ce moment-là que l’on frappe à sa chambre. Elle essuie ses yeux et va ouvrir.
-C’est Lucie , je vous apporte quelques vêtements. Donnez-moi les vôtres je vais faire une machine et les mettre à sécher. Vous pouvez descendre au bar en peignoir, il n’y a personne à cette heure, je vais vous faire chauffer un thé et vous faire une ou deux tartines, vous devez avoir faim ! ça va vous réconforter.
-Vous êtes trop gentille, je ne sais comment vous remercier !
Marie descend derrière Lucie, rejoins le bar, et grimpe sur un des tabourets. Un léger ronflement vient de devant la cheminée, où Whisky s’est allongé ! Lucie la rejoint quelques minutes après, passe derrière le bar, prépare un thé et deux tartines beurrées, puis laisse Marie à ses pensées. On parlera plus tard pense t-elle, si elle en a envie. Pierre vient à son tour vérifier que tout va bien.
-Pourquoi avoir appelé votre chien Whisky ? Pierre sourit !
-Parce qu’on me la donné, alors avec sa tâche noire ça fait un white and black… à l’œil ! Marie sourit du jeu de mots et Whisky qui a entendu son nom, s’approche du bar pour quémander un petit morceau de pain beurré bien mérité pour le remercier d’avoir bravé la pluie.
-Que faisiez-vous là par ce temps ? Marie lève les yeux, regarde Pierre, et se lance dans son récit . Pierre l’écoute très attentivement, très admiratif qu’elle lui fasse ainsi confiance. Quand elle a terminé, il l’invite à s’installer à l’hôtel en cette morte saison touristique, il y a toute la place qu’il faut.
-C’est notre dernière année, nous allons vendre après l’été. Nous avons acheté une maison à la sortie de la ville, avec vue sur mer bien sûr, et il est temps pour nous de profiter maintenant de la vie, voyager, et aller auprès de nos deux enfants et de nos trois petits-enfants. La prochaine saison démarrera vraiment en juin, cela vous donne plus de trois mois pour garder la chambre le temps qu’il vous plaira.
-Je veux vous payer, dit Marie
-Pour le règlement on verra plus tard. Vous pouvez nous aider à quelques menus travaux, au bar, à la comptabilité, au jardin, nous trouverons bien quelque-chose à vous faire faire. Ce sera amplement suffisant comme contrepartie.
C’est ainsi , en ce mois de février, que Marie s’installe aux » Embruns »,aide au bar le midi et le soir, discute avec les quelques VRP de passage pour une soirée étape, se laisse un peu draguer par eux, ce qui l’amuse et la flatte !rien de plus. Lucie est comme une mère avec elle, et la comptabilité n’a qu’à bien se tenir devant les compétences de cette employée pas ordinaire. Marie a acheté deux carnets Moleskine pour se raconter, écrire lui fera du bien pense t-elle. Elle fait aussi de longues balades sur le vélo que Pierre lui a prêté, longe la falaise, la plage, et va jusqu’au camping de la pointe, à 10 kms de l’hôtel. Elle va promener Whisky avec Pierre ou Lucie. L’air marin lui fait du bien, même si chaque jour elle pense à ceux qu’elle aime !
« Ce matin, lever 7h comme tous les jours de la semaine. Après la douche,une fois habillée, préparation des petits déjeuners, un café pour Michel, mon mari depuis 14 ans, et un chocolat pour Mathieu, mon amour de fils de 11 ans. J’avale un thé et une tranche de cake, vérifie les vêtements de Mathieu et son cartable, et j’enfile mon manteau…comme d’habitude, comme le dit si bien la chanson. J’embrasse mes deux hommes, plus longuement que d’habitude, enfin c’est ce que je crois, je jette un dernier coup d’œil à l’appartement et je sors. Il fait très froid ce matin, la France est sous la pluie et la neige, et le manque de soleil commence à me peser. J’ai bien réfléchi. Je me dirige à pieds vers la rue Dutour, où est le cabinet d’expertise comptable où je travaille depuis 12 ans, j’aime bien arriver très tôt. Mais ce matin, je n’irai pas ! Je file tout droit vers la gare, j’ai mon billet pour le 8h10 qui rejoint Granville, dans la Manche. J’ai envie de voir la mer, et les reportages que j’ai pu voir à la télé ou dans les magazines, sur le Mont St Michel, sur les longues plages, les ports, m’ont donné envie d’aller là-bas. Le train est un vieux TER, je m’installe et me laisse emporter par mes pensées bercée par les roulements ! J’ai laissé une lettre dans la boîte, Michel la découvrira ce soir. Je lui dis que je m’en vais, au moins quelques temps, que j’ai besoin de respirer. Que surtout il prenne soin de Mathieu et de lui et qu’ils ne s’inquiètent pas pour moi. Que dira t-on, que je suis une mauvaise mère, une mauvaise épouse ? Mais qu’est-ce qu’une bonne mère, une bonne épouse ?se lever, préparer les repas, travailler, faire les courses, faire faire les devoirs? Le we pour le ménage, un dimanche sur deux à déjeuner chez les parents et les beaux-parents ? J’ai envie de prendre le temps de découvrir, voyager, envie de rencontres, un temps pour des amis, un temps pour la famille, un temps juste pour moi !J’ai bien essayé d’en parler avec Michel, mais il ne comprend pas. -Tu es malheureuse avec nous ?me dit-il à chaque fois, on est bien pourtant ! Je ne savais plus comment en parler, alors j’ai décidé de partir, vivre cette vie que j’ai tant rêvée, ne pas avoir de regrets. J’ai mal de laisser Michel et Mathieu, très mal ! J’ai emporté des photos, et me suis promise de leur donner des nouvelles. J’y ai pensé tout le voyage, regretté d’être partie, pensé à revenir dès le lendemain, imaginé à quel point on allait me détester ! Et puis le train est entré en gare, il pleuvait, je n’avais rien que mon sac à main, avec ma carte bleue, mes papiers, de l’argent liquide, et une paire de sous-vêtements bouchonnés dans le fond. J’ai pris un taxi pour qu’il m’emmène sur les hauts de la ville, surplomber la mer. J’ai un peu marché et je me suis arrêtée au bord de la falaise, sans savoir ce qui m’arrivait. C’est là que Pierre est venu me chercher. Que va-t-il se passer quand Michel ne va pas me trouver en rentrant ? Va t-il appeler la police, les hôpitaux, aura-t-il trouvé ma lettre ?s’il m’appelle je ne répondrai pas, je me suis même mis sur répondeur pour ne pas être tentée de répondre. Je veux le garder pour envoyer quelques sms. Je referme mon carnet après ces premières pages. Je me sens curieusement bien !je mesure la situation dans laquelle je me trouve, mais je n’ai plus peur."
Je profite de ce moment de sérénité pour envoyer un petit sms à Michel « ne t’inquiète pas, tout va bien, prends soin de Mathieu, je t’embrasse tendrement », en espérant qu’il n’essaiera pas de me localiser.…
Trois mois se sont écoulés depuis mon départ de la maison. Les journées passent vite. Michel et Mathieu me manquent terriblement. Mes carnets sont noircis de réflexions sur la vie, de questions posées, de pensées lues ça et là et recopiées, d’idées, d’histoires inventées, pour lesquelles je me trouve même quelques talents de créativité et d’écriture. J’échange longuement avec Pierre et Lucie sur la vie, la leur, la mienne, les moments de bonheurs qui s’avèrent si nombreux, les difficultés , les projets… Un matin de mai, veille de pont, pour lequel l’hôtel enregistre ses premières bonnes réservations, une voiture de police s’arrête sur le parking de l’hôtel. Lucie appelle Marie pour qu’elle descende. A l’accueil, un policier discute avec Pierre, et derrière lui Michel et Mathieu écoutent les réponses aux questions posées. Marie est bien ici répond Pierre ! le temps d’un sourire satisfait qui marque la réponse de Pierre, Mathieu aperçoit sa mère dans l’escalier et coure lui sauter dans les bras. Michel reste à distance ne sachant que dire ni que faire. Il s’avance, Marie s’avance également à son tour vers lui et l’enlace. Elle pleure, , ils pleurent, lui demande de lui pardonner. Michel lui dit que tout va bien, qu’elle lui manque, qu’il ne lui en veut pas, qu’il veut qu’ils écrivent une nouvelle histoire. Pierre et Lucie retiennent eux aussi leurs larmes, Whisky n’est pas en reste et sautille autour du couple et de Mathieu réunis.
Septembre
L’arrière-saison est douce, le soleil toujours présent, a marqué tout l’été la plage de cris d’enfants, de jeux et de rires. « L’hôtel des Embruns » a fait le plein toute la saison, de vacanciers habitués mais aussi de nouveaux clients venus de différents pays, donnant ainsi à l’établissement une couleur internationale ! Michel est rentré à Paris donner sa démission de l’agence de communication qui l’emploie, et prépare le déménagement de l’appartement. Mathieu a rejoint son nouveau collège, Marie s’affère dans l’hôtel avec Lucie, pour ranger et nettoyer de fond en comble en cette fin de vacances. Dans la bibliothèque du salon-bar où elle range les livres et les magazines, Marie glisse ses deux carnets, comme le ferait un passeur d’histoires. Qui sait si quelqu’un les lira ! Et puis elle va rejoindre Lucie grimpée sur un grand escabeau pour accrocher une grande banderole au-dessus de la porte d’entrée !
« CHANGEMENT DE PROPRIETAIRE »…