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                                                                        Le chant du fleuve

 

 



Je suis revenu!
Je me suis assis au bord du fleuve, Tom à mes côtés.
Je voulais lui raconter.



C’est encore petit 10 ans tu sais Tom! on veut déjà faire partie des grands, mais ce n’est encore que le début de la vie!


Moi à 10 ans, je suis parti  en pension.


Dans cette pension,  je n’allais pas  apprendre la musique, ni à faire du cheval, ni à jouer du piano, comme d’autres enfants de mon âge, il n’y avait pas d’activités. Je n’allais pas, tout simplement, y apprendre la vie.


Non, c’était pour travailler! On nous y apprenait la discipline, les mathématiques, l’histoire, la géographie… tout ce que l’on croit qui construise un homme. Mais en silence! Le silence du seul droit de se taire. Un mur avec la vie.


En pension la vie, la vraie, se noyait dans une fumée silencieuse comme après une pincée humide sur une chandelle.
C’était ça la pension, loin de mon père et de ma mère, à envier les externes et demis qui rentraient chez eux tous les soirs dans leurs familles, regardaient la télévision, dormaient dans leur lit, dans leur chambre, et que chaque mercredi les parents emmenaient faire du sport.


Heureusement, Tom, il y avait les copains, le foot dans la cour, où on se donnait le nom de nos stars préférées, les bombes à eau lancées des fenêtres des dortoirs, le magasin de bonbons où on n’en payait qu’un sur trois.


Une seule idée, partir!


Lors du premier hiver, je m’étais plaint de fièvre et après que l’infirmier m’ait mis au lit, j’avais pincé mes doigts sur le radiateur puis sous les draps sur le mercure du thermomètre. L’infirmier avait téléphoné aux parents pour venir me chercher. Il a près de 40!


J’étais rentré à la maison, le docteur Médard, médecin de la famille, n’avait rien trouvé d’anormal, la température ayant disparue, mais m’avait quand même donné un sirop de perlimpinpin pour justifier du déplacement.


Retour direct à la pension!


C’était en cours d’allemand en 5e, avec Mme Langlais, ça ne s’invente pas! je bavardais. Bavarder en pension c’était avoir aligné trois mots à la suite.
Elle m’avait demandé de prendre la porte, ce que j’avais fait très proprement et méticuleusement. Je l’avais sortie de ses gonds et posée contre le mur. La classe s’était esclaffée, Mme Langlais avait hurlé que j’allais entendre parler d’elle.


En effet, j’étais convoqué avec mon père chez le Directeur. Viré 15 jours!


Mon père avait dû quitter son travail, il était fou de rage! et moi… fou de joie !


Nous sommes rentrés à la maison, des kilomètres dans un silence de mort, ce qui ne changeait pas, et je suis allé directement dans ma chambre.
J’entendais les voix de mes parents qui se demandaient comment ils allaient faire, que je devrais rester seul à la maison quand ils iraient au travail, fallait-il me changer de collège? Mais qui voudrait de moi avec un carnet de notes aussi pauvre en succès ?


Tom me regarde l’air sombre et inquiet.


Et puis un miracle ! Louise, Mamilou, ma grand-mère, ton arrière- grand-mère, appelée à l’aide, a écrit qu’elle ne pouvait se déplacer compte tenu de la distance, mais proposait que j’aille la rejoindre, qu’elle s’occuperait de moi, que les écoles près de chez elle avaient bonne réputation et qu’elle veillerait particulièrement à mon travail.


Lors du décès de grand-père, Mamilou avait décidé de réaliser son rêve d’enfance, et d’aller vivre au Québec, sur les bords du Saint Laurent pour y retrouver le chant des baleines que son père lui avait fait découvrir lors de voyages.


Il n’y a que trois êtres vivants qui chantent disait-elle, les humains, les oiseaux, les baleines à bosse. Et le chant des baleines guérit de toutes les peines ajoutait-elle. Ton grand-père me manque tant !


C’est ainsi que j’ai rejoint le Québec et la maison au bord du fleuve.


Mamilou habitait une petite maison recouverte de bois peint en gris clair, avec des fenêtres blanches. Un petit jardin planté d’arbustes séparait la maison du chemin bordant le fleuve. C’est là que Mamilou avait installé son banc.
Il y avait tout le confort, eau, électricité, chauffage, et un petit poêle à bois dans la salle à manger-salon. J’avais ma chambre avec un petit bureau, et une bibliothèque dans laquelle s’entassaient des livres d’histoire et de géographie, les aventures de Jack London et de Jules Verne, des histoires que lui lisait son père, et toute une collection de livres de photos sur les cétacés et sur les baleines.


J’étais bien!


Mamilou coulait là une retraite rêvée de sa vie de professeur d’histoire et géographie.
Elle avait connu tous les pays qu’elle enseignait, grâce à son père puis à son mari, ingénieurs tous les deux, qui l’avait emmenée traverser le monde, les villes, les rues, sans parler de toutes les rencontres avec les locaux dans chacun de leurs voyages.


-Tu vois Tom, c’est là que ma vie a vraiment commencé!


Chaque matin dès l’aube, lors de la saison des amours, nous allions nous asseoir dans le jardin sur le banc, et dans un grand silence nous scrutions le fleuve et guettions les baleines. Certains jours, comme une récompense, une baleine surgissait de l’eau, s’élevant à plusieurs mètres de hauteur, pour impressionner les femelles m’expliquait Mamilou, puis elle replongeait, ses immenses nageoires pectorales battant l’eau mais avec souplesse et élégance, comme une danseuse.


Des instants magiques.


Il y avait aussi leur chant qui durait de longs moments, comme une mélodie lancinante qui donnait vie au fleuve. Une chanson pour trouver l’amour.
-Ecoute bien Antoine, me disait Mamilou, le chant des baleines efface toutes les peines!


Et puis après un petit-déjeuner rapidement pris, c’était le départ vers l’école. J’y étais appelé le petit français et j’y avais plein de bons copains.
Je rentrais à la maison à l’heure du goûter. Mamilou préparait des tartines de confiture et un chocolat chaud. Puis je faisais mes devoirs sous ses yeux attentifs et bienveillants.


Le week-end, Mamilou me donnait des leçons de géographie, je visitais les pays à sa façon, les villes, les rues, les monuments. J’en savais plus que tout le monde à l’école et parfois même plus que le professeur lui-même.
Mamilou me racontait l’Histoire, les rois, les reines, je me perdais dans les noms et les chiffres et ça la faisait rire.
Elle me racontait les guerres, enjolivant les victoires de la France, amenuisant les défaites et trouvant même des excuses et des raisons quand la France avait perdu.


Le soir nous nous allongions dans le jardin pour regarder les étoiles, Mamilou connaissait le ciel par cœur et me faisait découvrir les constellations. Quand il y avait des étoiles filantes, Mamilou me parlait de mon grand-père qui de là-haut  nous faisait sûrement des signes et nous  protégeait.


-Tu ne voyais jamais tes parents? demande Tom.


Je rentrais en France aux vacances. Tes grands-parents, je ne les voyais pas beaucoup, j’étais souvent seul à la maison. L’été nous partions une quinzaine de jours à la mer où j’allais dans un Club. Je n’avais pas l’impression de leur manquer ou peut-être était-ce leur façon de m’aimer avec beaucoup de pudeur ?
Quand les vacances étaient finies, j’étais heureux de rentrer chez Mamilou et de retrouver le chant des baleines qui me manquait tant.


Et puis Mamilou a vieilli, et je devais l’aider de plus en plus dans sa vie de tous les jours. Je préparais mon bac et j’avais décidé de rentrer le passer en France pour avoir un diplôme français.


J’ai réussi l’ensemble des matières et même excellé en géographie. En Histoire le correcteur a juste commenté que certains faits évoqués ne s’étaient pas vraiment passés comme je les décrivaient! j’avais repris les versions de l’Histoire de Mamilou en me doutant bien qu’elles les avaient aménagées à sa façon.


Et puis, un matin, mon père est venu me réveiller pour me dire que Mamilou était tombée chez elle, que le facteur l’avait retrouvée étendue la tête en sang dans son salon. Les pompiers n’avaient rien pu faire.


J’étais abattu.

Nous sommes partis tous les trois pour préparer son enterrement. Elle voulait être au cimetière près du fleuve, pour continuer à entendre les baleines.
Le jour de la sépulture l’une d’elle a lancé son chant lancinant, comme une plainte, comme un salut, comme un au revoir!


J’ai pleuré Tom ! Oui j’ai pleuré toute l’eau de mon corps.
 
Et puis il y a eu cette lettre du notaire qui m’invitait à venir le rencontrer, Mamilou ayant laissé un testament.
C’est comme ça qu’étant sur place j’ai décidé de rester et d’y construire ma vie.
Mes parents sont eux rentrés en France.

Au fil des ans, j’ai retrouvé le chant du fleuve, les baleines ont apaisé ma peine,  les nuits étoilées m’ont consolé, les parfums de la maison de Mamilou m’ont apaisé.


Et puis j’ai rencontré ta maman.


Nous sommes assis sur le banc. Tom reste silencieux, et du haut de ses huit ans il me regarde en souriant.


-C’est une belle histoire me dit-il!et maintenant tu es heureux?


Nathalie est restée dans la petite cuisine et nous regarde par la fenêtre. Elle sait l’importance que ces moments avec Tom ont pour moi.
A la nuit tombée nous nous allongeons dans le jardin, comme avant.
Lou notre labrador nous tourne autour et espère un jeté de balle.
Nathalie et Tom sont collés chacun à une de mes épaules.
Je regarde Tom et pense à mon père que je ne connais pas beaucoup, avec qui je n’ai jamais beaucoup parlé, contre l’épaule duquel je ne me suis jamais appuyé.


Mamilou me disait qu’être père ça ne s’apprenait pas. Soit on faisait comme le sien avait fait, soit on faisait le contraire.
Moi je veux faire  ce que j’aurai aimé qu’il fasse pour moi.

La lune se reflète sur le fleuve et un long chant s’élève dans la nuit!

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