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J’ai décidé de retirer la photo de son cadre... !

C’est l’unique et le plus précieux souvenir que je veux garder de nous : la photo de notre mariage, toi si belle dans ta robe blanche, et moi un peu engoncé dans un costume que je n’ai pas l’habitude de porter, avec ce nœud papillon qui me mange le cou.

Comme nous avons l’air heureux ! Tu m’as abandonné il y a deux jours après ta maladie si brutale et fulgurante. Nous avons à peine eu le temps de réunir nos deux vies, que la mienne est déjà orpheline de toi, et que je suis brisé par le chagrin.

Je regarde ton visage apaisé et blanc dans cette chambre glacée du funérarium. Le piano de Chopin accompagne cet instant triste et profond mais donne de la sérénité aux souvenirs qui m’envahissent. Quel contraste entre la photo de notre bonheur que je viens de poser sur la petite table fleurie à côté de ton cercueil et ce moment de sombre recueillement. J'ai posé le cadre à côté de moi sur l’oreiller. J’ai passé mes deux nuits blanches à la maison à fixer cette photo. Un rayon de lune est même venu un court instant se refléter sur le verre cette nuit, comme un signe de toi. Mon cœur, mon amour, que je suis malheureux !

C’était hier, j’entre par le plus grand des hasards dans cette galerie de peintures parisienne, comme je le fais souvent dans les villes où je voyage. Tu es là, élégante et jolie, assise derrière un bureau de verre moderne, entourée d’œuvres diverses colorées. Tu lis un catalogue et relèves à peine la tête pour me saluer, trop concentrée sur ta lecture, ou simple signe de l’indifférence que tu portes à tous les curieux qui ne font que passer. Mais j’ai eu le temps de voir ton regard bleu et ton doux visage de quadra. Je fais le tour de la Galerie, et je ne peux m’empêcher de me tourner sans cesse vers toi, comme fasciné par ton visage qui m’a comme percé l’âme d'une flèche invisible. Je cherche quelle question te poser pour attirer ton attention, même si je me fiche bien de la réponse que tu donneras, ce n’est pas ce qui m’intéresse.

- Bonjour ! François Landais, c’est vous qui réalisez ces œuvres? En même temps que je pose ma question je me dis que si ce n’est pas toi ce sera un coup d’épée dans l’eau.

- Elise Pagès, enchantée ! Oui ! mais quelques-unes seulement, m’as-tu répondu, vous aimez?

Je suis un peu pris de court et m’oblige à me poser devant l’une d’entre elles pour me dire intéressé et te demander le prix. Tu me réponds sans hésiter qu’elle n’est pas de toi et tu me lances un 3.800€ qui me fait frémir. Tant mieux qu’elle ne soit pas de toi car elle n’a aucun intérêt pour moi qui puisse justifier ce prix. Ma réaction doit probablement être très lisible pour que tu me proposes de venir à ton atelier si la peinture m’intéresse, et où les prix ne prenant pas en compte les frais de la galerie, tes peintures y sont plus abordables.

J’accepte tout de suite, voire même un peu précipitamment, pour saisir l’occasion qui m’est donnée de cette rencontre.

Nous nous sommes ainsi retrouvés un jeudi après-midi, dans ta petite maison de banlieue, où la très grande véranda mange un jardin gazonné qui cache ton atelier. Une pièce jonchée de tubes et pinceaux, de palettes barbouillées, et de nombreux tableaux posés pêle-mêle à même le sol sur chaque centimètre carré libre. Un chevalet et un tabouret complètent le décor. Un lecteur de CD marqué de traces de doigts colorées, est posé sur une bibliothèque qui n’en a plus que le nom. Je t’imagine assise, un pinceau à la main, dessinant et faisant naître tes tableaux.

Après avoir hésité et fait le tour de ce capharnaüm artistique, je me décide à acheter un tableau très contemporain, mais dont les couleurs, des dégradés de bleus, se marieront parfaitement avec les murs blancs de mon appartement. Et puis tu m’as offert un thé, et après avoir commenté la météo du moment, et raconté quelques banalités, tu m’as expliqué comment tu étais arrivée à la peinture après tes études de droit. La musique tient une place importante dans ta vie, une mère pianiste et un père violoniste, ont bercé ton enfance et ont probablement construit ton âme artistique et t'ont aidée à faire ton choix de vie. Ce qui explique sûrement me-dis tu, que tu ne peignes qu’avec Chopin et Mozart pour compagnons de tes créations. Je crois que je saurai maintenant reconnaître ce que tu as peint avec l’un et avec l’autre. Tableaux plus ou moins colorés, paysages verdoyants ou sombres, ombres et lumières…

A mon tour je me dévoile, et te raconte que je suis professeur de français dans un collège parisien, un métier que j’apprécie, une passion pour les grands auteurs que j’aime faire partager aux élèves. Ce que j’aime avant tout, c’est écrire des histoires. Enfin ! essayer d’en écrire. En effet, j'en suis à mon 3e roman, les deux premiers ayant été refusés par les différents éditeurs que j’ai sollicités. Petit, déjà, j’écrivais. La pension où le seul droit était de se taire, m’a naturellement amené à écrire des messages sur des petits papiers, des histoires dans des cahiers et, plus tard, dans de nombreux carnets où se mêlent pensées, chansons, nouvelles et même listes de courses... Je voulais probablement me faire remarquer de mes parents et de mes copains, et que l’on s’intéresse un peu à moi. Mais je crois que chacun s’en fichait et je ne trouvais aucune reconnaissance ni aucun encouragement dans ce que je faisais. J’ai souvent eu envie de baisser les bras, de laisser tomber, mais l’envie et le plaisir d’écrire ont toujours été plus forts, et je n’ai jamais abandonné. Je me souviens t’avoir dit que j’écrivais justement une histoire sur une femme peintre et que ça m’intéressait vivement de pouvoir continuer à échanger avec toi pour mieux me mettre dans la peau de mon personnage. Il n’y avait rien de vrai, mon récit tournait autour d’un musicien, mais j’imaginais déjà bien troquer son violon pour un pinceau juste pour me rapprocher de toi et faire durer nos rencontres.

Voilà comment on s’est connus, et comment on ne s’est plus quittés pendant ces trois merveilleuses années. Des passages réguliers à la galerie, d'autres furtifs à ton atelier, la visite d’expositions qui t’intéressaient et auxquelles je t’accompagnais juste par désir d’être avec toi. La première fois que nous nous sommes embrassés, je n’ai plus dormi les nuits suivantes. J’étais si heureux et si inquiet à la fois que cela ne soit qu’un rêve qui s’arrête trop tôt. Et puis on est partis en week-end à la mer, et passé une nuit dans le noir de ma chambre où tu m’avais rejoint, à nous raconter nos vies, nos espoirs, nos projets. C’est fou ce que la nuit donne de courage, de confiance et d’intimité, pour se livrer. Ce fut le vrai début de notre jolie histoire, le ciment qui allait lier nos vies. Tu m’as raconté la mort de tes parents dans un accident de voiture, ton frère aîné qui te prend alors en charge et va s’occuper de toi jusqu’à tes 18 ans. Tu es très admirative de ce qu’il a fait pour toi, et tu ne sais toujours pas comment tu pourras un jour le remercier de ce qu’il a fait si naturellement. Et puis tes années un peu galères où tu allais à Montmartre croquer les visages de touristes pour gagner un peu d’argent afin de ne pas être un poids financier pour ce frère qui n'avait pas beaucoup de moyens. Ta maîtrise de Droit en poche, c’est bien ta passion pour le dessin et la peinture qui va t’amener à te lancer. Puis ta rencontre avec celui que tu crois être l’amour de ta vie, mais qui va t’abandonner au prétexte que tu ne peux pas avoir d’enfant. Était-ce bien de l’amour ? Alors tu as renoncé à construire une vie avec quelqu’un de peur d’être une nouvelle fois déçue.

Au retour de ces deux jours, nous sommes revenus nos têtes emplies de sourires et l'envie de recommencer. Je sentais que nous allions vers un chemin commun. Même si je savais qu’il me fallait encore t’apprivoiser un peu, je n’ai pas pu attendre, j’ai fait le pas et me suis lancé. Tu m’as regardé d’un air incrédule, et puis, voyant que j’étais très sérieux, tu m’as sauté au cou pour me dire à quel point tu imaginais que l’on puisse être heureux ensemble.

Et puis on s’est mariés. Tout notre bonheur se lit sur la photo. Je me souviens que tu disais à qui voulait bien l’entendre que tu étais heureuse comme jamais, que la vie te souriait enfin et que tes parents auraient tellement aimé te voir ainsi.

Deux années ont passé, les traitements pour avoir un enfant n’ont rien donné. Tu as beaucoup souffert physiquement et moralement et nous avons abandonné ces douleurs inutiles, mais sans regret d’avoir tout essayé. Tu as fait de nombreuses expositions dans toute la France, et je te rejoignais les week-end pour t’aider. Les journaux spécialisés ont commencé à s’intéresser à toi. De beaux articles sont venus couronner ton travail et tu as même été invitée dans l’émission « des peintures et des vies » réservée aux artistes reconnus. Tu en avais tant rêvé !

C’est lors de cet enregistrement que tu t’es sentie mal. Nous avons mis cela sur le compte de l’émotion, une sorte de malaise vagal, mais très vite nous t'avons vue décliner. Les examens ont immédiatement montré que c’était très grave, soudain, et les médecins ont rapidement diagnostiqué que l’on ne pouvait pas beaucoup espérer. Trois semaines d’angoisse, à te tenir la main, et voilà, que tu es partie doucement avant-hier, un matin ensoleillé comme tu aurais aimé le peindre, et après un dernier regard pour moi!

J’ai passé ces deux jours au funérarium à te regarder et à me mémoriser tous ces bons moments. Que ma vie est vide sans toi. Tu me manques déjà tant ! Je n’ai pas envie de te laisser, je n’ai pas envie de voir le cercueil tout à l’heure se refermer sur notre amour. Que vais-je devenir sans toi?

Deux hommes en noir entrent dans la chambre funéraire. Je comprends qu’il est l’heure de te dire adieu. Je regarde intensément ton visage, comme la première fois où je t’ai vue. J’espère encore te voir lever les yeux sur moi comme lors de notre première rencontre. J’appréhendais tellement ce dernier moment.

J’ai décidé de retirer la photo de son cadre posé à côté de toi !

Je la dépose sur ton cœur Élise, avant que ton cercueil ne se referme à jamais, pour te donner un dernier message d’amour… et comme un nouveau rendez-vous ! J’ai repris mon roman, et même si j’ai du mal à me concentrer pour écrire, un peintre s’est glissé dans mon histoire pour te faire vivre par mes mots, et cette fois, pour toujours !

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