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                                                                                                        Rose et Max

 

 

 

 

                                                                                                                                Si j’avais dix ans de moins,

                                                                                                                          Mon amour serait-il moins dix ans?

                                                                                                                                            Kolar

 

 

 

En sortant de chez Max, 72 ans cette année, c’est comme si le temps s’était arrêté !

Il vient de me raconter l’histoire de l’amour de sa vie!

Il fait très chaud en ce début d’été, je rentre chez moi d’un pas lourd, la tête remplie d’émotions, et en passant devant le café du théâtre je regarde la table derrière la vitre. Personne ne l’occupe à cette heure, même si le bar est bondé! C’est comme si elle était réservée...

Assis à la terrasse du café « Les comédiens » sur la place du théâtre près de chez moi, j’observe un couple de l’autre côté de la vitre. Un homme est avec une jeune femme ravissante, visiblement plus jeune que lui. Sa fille, sa femme peut être, pourquoi pas, tellement leurs regards et mains croisés en disent beaucoup sur leur lien. « Elle au printemps lui en hiver « chantait Reggiani. Un joli couple en tout cas!

Je détourne les yeux pour ne pas les déranger et passer pour un voyeur au risque de les mettre mal à l’aise. Mais ils n’ont pas l’air préoccupés par le fait que l’on puisse les voir. Quelques jours plus tard je suis invité à dîner chez un de mes amis très proche, qui a beaucoup insisté pour que je me rende disponible. En arrivant chez lui, quelle n’est pas ma surprise, je retrouve ce couple aperçu plus tôt, et, s’ils ne me reconnaissent pas, je les identifie très sûrement comme mes amoureux du bar du théâtre.

Voici Rose et Max me dit mon ami, puis me présente à mon tour comme auteur, musicien, et conteur à mes heures. Rose a un regard d’un bleu profond, sourire aux lèvres, et se colle à Max comme si elle avait peur qu’il se sauve. Max, son rocher, a l’air fier et amoureux de celle qu’il enveloppe jalousement de son bras protecteur. C’est un vrai beau couple que j’ai devant moi, et j’efface tous les non-dits et mes à priori que je pouvais avoir des couples avec une grande différence d’âge. Le dîner nous donne l’occasion de beaucoup parler musique, culture, voyage, mer et montagne. J’observe ce couple qui échange des regards de jeunes amoureux et parle de mon plaisir d’écrire, ce qui retient l’attention de Max qui me propose de nous retrouver et me raconter une histoire, une drôle d’histoire précise t-il ! Un peu en recherche d’idées nouvelles, curieux aussi, j’accepte avec grand plaisir.

C’est ainsi que quelques jours plus tard je vais à son domicile à l’autre bout de cette belle ville du Nord. Max est marié avec Christine, absente ce jour-là car très prise m’explique-t-il par « ses associations », et la photo qui trône sur le vaisselier de la salle à manger me parle bien d’une autre femme que Rose. La maison est coquette et un petit jardin apporte lumière et vue verdoyante jusqu’à la pièce où nous nous tenons. Max sourit et se frotte les mains, comme s’il allait me raconter une bonne blague dont il a le secret. Et je vais découvrir que secret il y a bien! Après m’avoir offert un café il se lance dans son récit.

Je suis un grand voyageur, mon métier de commerçant m’a fait traverser la France de part et d’autre, et m’a permis de découvrir toutes nos belles régions avant de revenir me poser ici, dans mon Nord. J’y ai rencontré Christine il y une trentaine d’années un peu sur le tard, après quelques aventures sans intérêt et le désir de me ranger. Nous nous sommes mariés et avons construit au fil des années, même sans enfant, je ne peux en avoir, une vie plutôt agréable. Et puis il y a presque 15 ans, un 21 juillet très exactement, la vie m’a fait comme un cadeau, une surprise devrais-je dire, comme elle sait les provoquer ! J’avais alors rejoint le siège Lillois de l’entreprise et travaillais dans une Direction assez jeune, où j’avais un peu un rôle de sachant. C’était une bonne façon pour moi de me poser tout en apportant mes connaissances du terrain. C’est là que j’y croisais Rose assez régulièrement, et il est vrai que sa bonne humeur et son sourire permanent, donnaient même pour un bref instant, un peu de soleil dans des journées souvent nuageuses. Et puis, petit à petit nous fîmes un peu plus connaissance, et une certaine confiance propice aux confidences tant professionnelles que plus personnelles s’installa entre nous, à en rendre même certains jaloux. Rose était mariée et semblait très heureuse dans sa vie et il n’y avait aucune ambiguïté entre nous.

Mais le temps a joué avec nos cœurs, et ce sont d’autres sentiments qui sont nés, petit à petit et sans que l’on y prête attention. Après quelques années, le matin de ce 21 juillet, c’est en la croisant dans le couloir du bureau, nous n’avons rien fait pour nous éviter et nous sommes embrassés sans même tenir compte des regards qui pouvaient nous découvrir! J’en étais complètement chamboulé, je ne savais pas quoi lui dire et n’avais que l’envie de m’enfuir. Rose souriait de bonheur de son côté, comme pour me rassurer. Les jours et semaines à suivre j’étais de nouveau en déplacements dans nos filiales, ce qui m’arrangeait car je ne savais pas quelle attitude tenir. Etait-ce un accident, juste un baiser volé? Mon retour me donna vite le sentiment contraire. J’étais heureux de la retrouver, de reprendre nos échanges mais sans jamais oser aborder notre baiser. L’été arriva à point nommé pour faire une coupure salutaire. Mais de mon côté se créa et s’amplifia un manque d’elle certain. Dès notre retour je lui proposais très vite un rendez-vous pour parler de nous et faire un point sur nos attendus, s’il y en avaient !

En ce jour de début octobre, il faisait frais, j’étais nerveux, nous devions nous retrouver en fin de journée à 18H, au bar du théâtre. Et pour ce premier rendez-vous, nous ne nous quittâmes que le lendemain matin après une nuit où nos corps firent eux aussi connaissance, sans pudeur et avec une intensité rare. Max est ému en repensant à ce moment. Le ciel m’était tombé sur la tête et l’averse d’amour qui l’accompagnait effaçait en moi toute raison. Etait-ce une simple aventure, était ce juste un plaisir passager? Ces questions tournaient sans fin dans ma tête. Tels que vous nous avez vus l’autre jour au café du théâtre, je pense que vous avez la réponse ajoute t-il. En effet, depuis ce jour d’octobre nous nous retrouvons une à deux fois par mois au bar de la place du théâtre à 18h, à notre table, toujours la même près de la vitre, et nous passons la soirée à notre hôtel, celui du théâtre à côté du bar. Ses deux étoiles éclairent et enchantent nos nuits. Le patron de l’hôtel nous connaît et sourit toujours quand nous arrivons, l’air complice. L’amour est très présent et ne nous quitte pas. Mieux, il nous rend plus forts. Lors de nos premières retrouvailles tout y passait dans nos discussions, quitter nos conjoints ? vivre ensemble ? comment se voir plus souvent ? fallait-il arrêter notre relation ?... Le cœur et la raison se disputaient chacun leur tour et chacun venait nous rendre visite pour donner un sens à nos réponses, à notre amour.

Et puis le jour est venu de mon départ en retraite. Rose était déchirée, je l’étais aussi. Nous passâmes une dernière nuit à nous aimer, à parler, à pleurer, et à nous aimer de nouveau. Au petit matin alors qu’elle s’était effondrée de sommeil dans mes bras et que nos sanglots s’étaient enfin asséchés, je lui ai fait la proposition que j’avais imaginée dans mes nuits blanches. Et si, deux jours par mois, nous continuions à nous retrouver à notre bar, à notre table, à notre hôtel, à 18h précises, pour passer la soirée et la nuit ensemble ? Rose m’avait immédiatement dit oui, qu’elle verrait comment s’absenter de chez elle. Oui ! Rose est toujours mariée elle aussi! C’est comme ça que l’on s’est trouvé l’autre soir au dîner chez Paul mon ami de longue date, qui lui aussi connaît notre histoire et m’avait dit que vous pourriez l’écrire et rendre ainsi notre amour éternel, la graver dans un livre. Que deviendrons nous, personne ne le sait, la vie nous offre un bonheur immense depuis des années, nous le vivons le plus pleinement possible et quand nos yeux se fermeront ce sera fort de tout ce qu’elle nous aura donné.

J’éteins mon petit magnétophone, Max devenu silencieux me regarde interrogateur ! que pensez-vous de nous et de notre histoire? Et vos conjoints ?

Nous nous étions jurés reprend Max, de ne pas faire de mal, sans imaginer que notre amour durerait si longtemps. Mon épouse ignore ou fait semblant d’ignorer cette relation et je crois que le mari de Rose également.

C’est une histoire magnifique dis-je, incroyable, unique. C’est fort, et j’ai du mal à imaginer toute cette vie gardée secrète, et qui dure avec la même intensité. Je vais écrire votre belle rencontre et j’espère qu’elle résonnera dans l’esprit et le cœur de celles et ceux qui n’aiment pas ou n’aiment plus. Qu’elle donnera de l’espoir à celles et ceux qui vivent ou voudraient vivre ce même amour intense. Je vous remercie de votre confiance et vous souhaite de porter longtemps le bonheur que je lis dans vos yeux.

L’histoire est parue quelques temps plus tard sur les réseaux sociaux et a suscité beaucoup de messages des lecteurs, comme nous pouvions nous y attendre. Etait-elle inventée ? Max et Rose existent-ils pour de vrai? Là c’est tout le plaisir du conteur de pouvoir faire en sorte que chacun puisse se reconnaître et s’identifier aux personnages.

Oui, Max et Rose existent, enfin, certainement quelque part! D’ailleurs, maintenant, regardez bien chaque fois que vous passerez devant la vitrine des bars, sur la place des théâtres, vers 18h... ! on ne sait jamais !

Nice 19 mai 2019

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