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                                                                    Les enfants du Fleuve

 

Kamal ferme sa porte avec un cadenas, la pluie cache ses larmes. Il ne se retourne pas tout de suite pour ne rien montrer de son chagrin à Mira, Alisha et à sa femme Jelena.

Dans l’Etat d’Assam, tout au Nord, au pied de Barpeta, coule le Brahmapoutre et tout le petit village fuit ! il pleut depuis un mois et les averses se sont multipliées depuis dix jours, sans discontinuer et avec force. On n’a jamais vu ça de mémoire des anciens. L’école a fermé et les maisons et jardins les plus proches du fleuve, comme celle de Kamal, sont inondées suite à la montée des eaux.

Les enfants portent un petit sac chacun avec quelques affaires de rechange, un cahier, quelques crayons et un jeu. Jelena tient les deux vaches fermement avec une corde. C’est leur seul véritable patrimoine. Une file s’est formée sur le chemin derrière la maison où familles, vaches, poules, chiens fuient les inondations. Kamal a chargé sur son épaule un sac de riz et quelques vêtements pour lui et Jelena. Ils sont vite trempés avec la pluie et il faudra pouvoir se changer pour éviter la maladie.

Kamal se sent déjà fiévreux depuis quelques jours.

Pourtant ils sont bien tous habitués aux moussons mais jamais les pluies n’ont été aussi importantes et engendré de telles sorties du fleuve. C’est ce qui a décidé Kamal à mettre quelques sacs de grains et ses outils de jardin et de mécanicien roulés dans une bâche sur le toit pour les protéger de l’eau avant de partir vers les hauteurs où s’organisent des camps. En effet les Autorités invitent à rejoindre des hangars servant habituellement à des fêtes de villages et à stocker bois et grains lors des coupes et des récoltes. Des tentes ont été installées avec une infirmerie de premiers secours et des couches pour les familles. Les prés autour permettront aux vaches de paître les maigres verdures.

Ils se joignent à la colonne, résignés, il le faut, et se dirigent vers le chemin de la colline. En montant la vue est plongeante sur le fleuve et les jardins qui ne forment plus qu’un ! Kamal se retourne de temps en temps, la maison commence à ressembler à un bateau bloqué au port. Quand pourront-ils revenir ? Nul ne le sait et l’espoir ne suffit plus pour lui garder un peu de chaleur au moral mais il se fait fort de n’en rien montrer. Il sent que sa fièvre a pris le pas. Jelena sait fort bien ce qui se passe dans la tête de son mari et voit à son teint pâle qu’il est malade. Ils ont de la chance d’avoir un point de chute avec ces camps, d’autres en ont eu moins. Un voisin a glissé et été emporté par les eaux et la boue en voulant protéger l’entrée de son jardin, d’autres se sont noyés ou ont été électrocutés en voulant débrancher l’électricité, les installations étant plutôt primaires. Un pont s’est effondré et les routes inondées rendent difficiles l’accès aux vivres et médicaments. Les hélicoptères de l’armée sont réquisitionnés.

Le manque d’hygiène commence à provoquer des diarrhées, maladies de peau, des fièvres, et on parle aussi de la malaria. Kamal pense que c’est ce qui le ronge de fièvre aujourd’hui.

Mira et Alisha ne vont plus à l’école depuis le début des pluies. Du haut de leurs 10 et 12 ans, ils marchent, sautillent, rient avec quelques copains qu’ils ont retrouvé sur le chemin. C’est pour eux comme une aventure et ils gardent toute leur insouciance d’enfants et c’est bien comme ça. Près des hangars on aperçoit les 2 bus à double étage dont les toits dépassent. Le Directeur de leur école a eu l’idée de négocier ces bus qui servaient au transport d’élèves et qui n’étaient plus utilisés après des milliers de kilomètres car devenus trop dangereux et retirés de la circulation. L’intérieur a été totalement démonté sauf le siège du chauffeur et le volant pour que les enfants s’amusent, puis totalement repeints pour leur donner une nouvelle jeunesse. Après l’installation de petites tables et bancs, voilà vite reconstituée une classe avec au deuxième étage une salle de jeux. Un ventilateur de fortune est branché sur la batterie restée à peu près en état.

Il pleut sans cesse mais il fait lourd aussi.

Kamal, Jemela et les enfants arrivent en haut après 2 bonnes heures de montée et aperçoivent un drapeau de la Croix Rouge qui flotte sur le sommet d’une tente de l’armée. Quelques femmes et enfants attendent déjà devant. Dès l’arrivée les familles sont dirigées vers un hangar ou un autre, des couches de fortune ont été installées à même le sol. C’est comme une délivrance. Jemela rejoint le pré pour y installer les 2 vaches, des poules et chèvres ont déjà pris possession des quelques carrés de verdure. L’armée achemine du foin et des aliments pour les animaux. Des sacs sont distribués à chacun avec du lait, de l’eau et des pains « Chapati ».

Kamal dépose les affaires et se change d’une chemise sèche avant d’aller faire la queue devant la tente de l’infirmerie. Il sent bien que la fièvre l’a encore bien gagné. Il se sent faible et fragile.

Mira et Alisha rejoignent quelques enfants et jouent à la ronde et aux kanchas.

Une infirmière en blouse blanche accueille Kamal et prend sa température directement sur son front pour constater qu’il dépasse les 40 degrés.

« Comment avez-vous fait pour monter dans cet état jusqu’ici « demande-t-elle ?

Kamal ne s’est pas posé de question il s’agissait de mettre à l’abri sa famille et c’est probablement ce qui lui a donné la force nécessaire.

« Malaria » dit le médecin après l’avoir examiné et explique qu’un hélicoptère doit livrer dans l’après-midi des pansements, de l’aspirine et de la malarone. Il va falloir attendre un peu. On lui donne quand même un cachet pour lutter contre la fièvre et lui permettre de patienter.

Il retourne au hangar, sa chemise de nouveau trempée de pluie et de sueur de sa fièvre et va se changer de nouveau avant de s’allonger.

 

                                                                                           .../...

 

Déjà deux jours qu’ils sont ici. La pluie a largement faibli depuis le début de l’après-midi et le vent s’est levé chassant les lourds nuages. L’espoir revient. La météo semble vouloir être plus clémente et de meilleure humeur. Une seule idée reste dans les têtes : rentrer ! Cela fait donc maintenant deux jours qu’ils sont arrivés. La vie s’est organisée, les familles ont à manger et sont abritées pour dormir.

Un des bus klaxonne comme chaque jour maintenant pour appeler les enfants à l’école. Ils sont une trentaine à se diriger en courant vers les deux écoles roulantes. Kamal et Jelena veulent à tout prix que leurs enfants apprennent à lire et à compter, surtout Mira, afin qu’elle puisse accéder plus tard à un travail car ils le savent ce n’est pas simple en Inde pour les filles qui n’ont pas été scolarisées. Les enfants se mettent en rang devant les portes de chaque bus et montent dans leurs classes si inhabituelles. Au même moment les rotors d’un hélico se font entendre et les hangars se vident pour venir accueillir les livraisons attendues. Kamal va recevoir son médicament si précieux. Le camp compte déjà une dizaine de morts par maladie ou vieillesse.

Le ciel se dégage de plus en plus. Que reste-t-il des maisons déjà fragilement construites de bois et de tôles ? que feront-ils en rentrant, partiront-t-ils plus loin dans les terres afin d’échapper à l’avenir aux humeurs du temps et du fleuve.Kamal y pense tout le temps, et réfléchit à écrire un plus bel avenir. Pour cela, d’abord se soigner et retrouver ses forces.

Un nouveau coup de klaxon libère les enfants des classes et reprennent aussitôt leurs jeux et leurs rires.

 

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Cela fait déjà 8 jours qu’ils sont là. La pluie a totalement cessé de tomber et depuis 3 jours le soleil même timide mais chaud est revenu commençant à sécher la terre. Les Autorités ont déclaré ce matin que ceux qui souhaitent rentrer chez eux pourront le faire à compter de ce début d’après-midi. Kamal est de ceux-là et déjà il commence à ramasser les quelques affaires dans des sacs et demande à Jelena d’aller chercher les 2 vaches dans le pré. Les enfants sont excités à l’idée de retourner à la maison. Kemal se sent bien mieux avec les médicaments et sent les forces qui reviennent pour redescendre. Il n’a plus ni fièvre ni courbatures.

Après quelques saluts et remerciements, la petite famille se met en route. Les 2 vaches ouvrent la marche retenues par une corde. Jelena a peur de glisser et être entraînée par les 2 bestiaux alors Kamal prend vite le relais. La pente est beaucoup moins boueuse et glissante qu’à l’aller. Très vite après une heure ils aperçoivent leur jardin encore un peu dans l’eau qui a, malgré tout, bien baissé. Dans quel état va être la maison ? Après une heure trente de descente ils s’approchent très vite et Kamal observe le toit. Les sacs et ses outils sont toujours bien là enroulés dans la bâche. C’est déjà une bonne nouvelle !

Il entre le premier dans le jardin encore détrempé, ouvre le petit cadenas, et pousse la porte qui se trouve ainsi libérée. Le sol en terre battue et le tapis qui le recouvre sont très humides et les couches complétement détrempées sont probablement totalement inutilisables. La nuit sera difficile. Les vaches retournent dans leur abri. Kamal va chercher un peu de bois le plus sec pour allumer le poêle et essayer d’assécher un peu les lieux. Jelena sort les affaires des sacs pour les laver dans le fleuve et les mettre à sécher auprès du poêle. Quant aux enfants, Mira accompagne sa mère pour l’aider et Alisha va lui aussi chercher un peu de bois et surveille le feu afin qu’il prenne bien.

 

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Kamal, comme il y a pensé tous ces derniers jours, décide d’aller au village voisin, plus dans les terres, chez son cousin Ravi pour lui demander la possibilité de les héberger le temps de réorganiser et d’assécher la maison. Il sait qu’ils seraient accueillis les bras ouverts en y allant directement mais il tient de son père cette façon de faire. Ravi qui vit seul depuis le décès de son épouse l’embrasse et s’empresse de savoir comment l’aider. Ils reprennent ensemble le chemin du retour pour organiser ce nouveau déplacement.

Kamal a maintenant en tête d’organiser une nouvelle vie, ce passage chez son cousin serait un nouveau départ.

Son père disait «  on laisse tous un jour quelque-part un peu de sa vie pour avancer »

La maison de Ravi n’est pas très grande, ils auront une chambre pour tous les 4 mais Kamal s’en fiche. Ce sera temporaire. A côté de cette chambre, une petite pièce attenante sert de débarras et permet de garder un vieux métier de tissage des grands parents et quelques outils de jardin. L’idée de Kamal est de réparer ce vieux métier, Jelena a appris avec sa mère à s’en servir, et avec la vente des 2 vaches il sera possible d'acheter de la soie. Lui cherchera un travail chez un des mécaniciens du village. Son père lui a tant appris également.

Il s’attelle très vite à la remise en état du métier à tisser et rapidement ce dernier retrouve toute la mobilité nécessaire à son bon fonctionnement. Il n’y a plus beaucoup d’artisans à utiliser ce type de métier les tissus étant de plus en plus importés de Chine ou fabriqués avec des outils électriques . Les 2 vaches vendues ont permis d’acheter  la soie et Jelena réalise des saris colorés avec des motifs floraux et bordés de fil doré. Elle se fait vite une réputation qui dépasse même le village et notamment auprès des futures mariées. Elle n’a pas pour objectif d’en faire beaucoup mais souhaite faire primer la qualité sur la quantité et répondre à une clientèle plus aisée.

Kamal de son côté a très vite trouvé un emploi chez le premier mécanicien qu’il a rencontré bien content de trouver une main d’œuvre supplémentaire. Il fait vite connaître et reconnaître son savoir-faire avec toutes les astuces que son père lui a apprises pour réparer tout type de véhicule sans avoir toutes les pièces d’origine. Kamal est un inventif et son patron est très vite convaincu qu’il a fait une bonne affaire en l’embauchant. Le soir certains locaux viennent même jusqu’à la maison pour faire réparer leur mobylette et laissent ainsi quelques roupies supplémentaires.

Les enfants de leur côté vont tous les deux à l’école. Mira aide sa mère le soir en rentrant et apprend aussi le métier de tissage. La tradition de mère en fille est respectée. Elle tient également le cahier des recettes et des dépenses.

Alisha lui observe son père penché sur la mécanique et apprend lui aussi les astuces qui peut-être lui serviront demain.

C’est ainsi qu’ils mettent de l’argent de côté pour pouvoir chercher une petite maison bien à eux et libérer Ravi de leurs présences, même si ce dernier n’y tient pas et s’est habitué à toute cette vie dans la maison.

Kamal s’arrête  de tracvailler,pensif! il rêve un instant de pouvoir retourner un jour au bord du fleuve, lui pêcherait, Jelena s’occuperait du jardin et des animaux, les enfants auraient sûrement eux quitté la maison.

 

Un rêve qu’il aimerait voir devenir  réalité... et qui le deviendra!

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